WR, une journée à Oradour : entretien avec Patrick Séraudie

Patrick Séraudie, réalisateur spécialisé dans les sujets d’histoire, particulièrement la Seconde Guerre mondiale, a signé en tant que réalisateur le documentaire « WR, une journée à Oradour » avec Willy Ronis. Un moment d’échange autour de la mémoire du photographe et de l’histoire internationale du « mouvement de la paix ». Patrick Séraudie avait aussi rencontré le photographe lors de la préparation du film « autoportrait du photographe » dont il était alors producteur.

 

Emmanuel Bacquet : Patrick Séraudie, dans quel contexte avez-vous rencontré Willy Ronis?

 Patrick Séraudie : J’ai rencontré Willy Ronis dans les dix dernières années de sa vie, alors qu’on avait commencé le film de Michel Toutain Autoportrait d’un photographe. C’était en 98, Willy est mort en 2009. Bien sûr je l’ai ensuite rencontré à plusieurs reprises en 2006 en tournant ces séquences sur Oradour.

 EB : J’imagine que c’était un bonheur de travailler avec lui ?

 PS : Oui, il correspond bien aux photos qu’il a faites : adorable, très humaniste, et surtout, ce que j’aimais -alors qu’il avait quand même 90 ans lorsque je l’ai rencontré- c’est qu’il était très curieux, très intéressé de tout. Il allait régulièrement au cinéma et on en parlait fréquemment…

 EB : Ce qui est frappant c’est aussi la qualité de son langage ; très poétique et aussi très lucide.

 PS : Il a un peu un langage d’un autre temps, c’est vrai ! Mais avec ce langage, il commentait ses photos et c’était d’une incroyable précision. Il se souvenait toujours de la date, des gens, des conditions de la photo, c’était étonnant !

 EB : Qu’est-ce qui vous l’a fait rencontrer ?

 PS : C’est d’abord le premier projet Autoportrait d’un photographe. On venait de terminer un portrait du photographe Raoul Haussmann et nous cherchions d’autres photographes pour en réaliser des portraits.
C’est le conteur Georges Chatain, qui le connaissait par rapport à un travail qu’il avait fait avec lui, qui nous a recommandé Willy Ronis. On a mis ensuite 4 ou 5 ans pour faire le film.

Pendant que nous travaillons sur ce premier film, je travaillais aussi beaucoup sur Oradour et sa mémoire, j’avais d’ailleurs fait un premier film qui était sorti en salles Une vie avec Oradour.
Je connaissais les photos qu’avait faites Willy à Oradour en 1949 à l’occasion du passage de « la caravane de la paix » avec Aragon et toute la bande.

Je lui parlais tout le temps de ces photos, qui pour lui étaient des photos qui ne correspondaient qu’à une seule journée, le 12 juin 49, alors que pour moi ces photos-là sont exceptionnelles, car elles parlent de l’après-massacre, et de comment les ruines deviennent un enjeu politique et mémoriel.
Ce mouvement du 12 juin était d’ailleurs deux jours après la commémoration du massacre, à l’initiative du P.C. car la mairie à cette époque était communiste.

 EB : La photo est un outil puissant pour évoquer la mémoire ?

 PS : Ce que je trouvais très fort dans ces photos que je lui ai demandé de ressortir, c’est qu’alors que les ruines ont été photographiées par beaucoup de personnes, lui, il a fait différemment.
Il a fait ce qu’il a toujours fait : employé comme journaliste, en marge de sa commande, il prenait la liberté de faire des photos plus personnelles.
C’est un des seuls photographes que je connais, qui est allé en marge du parcours officiel, partant tout seul avec son appareil, photographier les habitants dans les baraquements provisoires qui sont restés le temps de la reconstruction du bourg moderne.

 Ces baraquements avaient été photographiés froidement sous un angle architectural lors de leur construction, mais lui est allé photographier les gens, qui vivent devant et dedans.

 EB : Willy Ronis incarnait tout sauf la froideur…

 PS : Oui, et moi j’aimais bien cette approche, comme lorsqu’il a fait cette photo célèbre de Rose Zehner. Il avait expliqué qu’en poussant une porte, il tombe sur cette séquence (Lors des grèves des métallurgistes en 1938, NdLR) et referme la porte parce qu’il ne se sent pas à sa place.
C’est cette approche qui consistait à faire le travail de commande et quand c’était possible, aller chercher des choses plus personnelles, derrière les portes.

 EB :  Il y a eu des moments difficiles aussi pour lui, des périodes de vache maigre.

 PS : Tout à fait oui, je crois que c’était au creux des années 70-80 c’est une des raisons pour lesquelles il était parti s’installer en Provence, parce que c’était compliqué à Paris…

 EB : Quelle place la photo a-t-elle dans votre vie ? Avez-vous fait d’autres projets sur la photo ?

 PS : Je ne pratique la photo qu’en amateur, mais dans les films que je fais sur l’histoire, la mémoire, la transmission de la mémoire, je suis souvent amené à utiliser des photos, notamment sur la Seconde Guerre mondiale.

 En tant que producteur à Pyramide productions, j’avais envie de développer des projets sur des portraits d’artistes. J’avais d’ailleurs commencé tout au début de ma carrière un portrait de photographe ambulant.
Puis il y a eu le film sur le dadaïste berlinois Raoul Haussman, puis Ronis, puis Clergue, et aussi un film avec Guy Le Querrec…
Au moment où j’ai rencontré Ronis, j’avais aussi rencontré Sabine Weiss… malheureusement, ça n’a pas pu se faire.
J’avais aussi commencé à produire le film d’un réalisateur d’origine hongroise sur Kertesz… c’est un de mes grands regrets que le projet n’ait pas abouti, car c’est un des photographes que je préfère !

EB : Il n’est pas trop tard pour faire un film sur Sabine Weiss!

PS : Je sais bien, c’est vrai aussi que je suis passé à d’autres sujets, mais c’est sûr que la photographie m’a occupé pendant plus de quinze ans, et c’est un sujet que j’aime beaucoup !

 

Entretien réalisé en octobre 2021

Le film lié à cet article

Willy-Ronis-Oradour-Fond
23’
Willy Ronis | WR, une journée à Oradour

Une plongée photographique dans les méandres de l'histoire.