Chambres closes

Tout débute généralement dans une chambre. Pour la naissance de la photographie il en a été de même, car quand Nicephore Niepce fit ses premiers essais, révélant au monde la célèbre vue « de ma fenêtre », la lumière a du à la fois traverser la chambre de la maison, puis la chambre photographique… 

Dès 1853, il y eut les « nus interdits à l’étalage » ; des photographies posées, tolérées par le prefet de police pour servir les artistes peintres et leurs études académiques. Mais les photos d’alors laissaient souvent poindre un érotisme d’alcôve, qui était bien délibéré ; un regard, parfois un sourire ambigu du modèle relevaient de la suggestion. Une connivence qui atteste que les images, vendues sous le manteau, n’étaient pas vraiment faites pour les peintres en mal de modèles… 

L’érotisme n’a cessé d’évoluer suivant les artistes qui s’y consacrent. Mais sa rencontre avec la photographie a été décisive : pas totalement dévoilé, pas totalement caché, il joue sur ce fil de ce qu’on entrevoit derrière le voile, sur le dépoli inversé, à travers les dentelles, dans ces chambres où l’on devine plus qu’on ne voit : quand on parle d’érotisme, on ne parle pas de pornographie. 

Car la photo pornographique a elle aussi existé dès les débuts, mais paradoxalement en « montrant tout », elle court-circuite le désir, l’attente, l’esthétique, et la construction intellectuelle propre à l’érotisme. Cette sophistication qui demande à l’observateur de « jouer le jeu » et de tourner son attirance autant vers l’image elle-même, que vers le corps photographié.

Longtemps attribuée aux seuls hommes, l’érotisme dans la photographie appartient maintenant à tous les genres et tous les sexes.

Le paroxysme de cette image-fétiche « objet du désir » qui remplace le corps lui-même, est sûrement atteint avec Pierre Molinier. Lui qui se passait de modèle, ou plutôt s’utilisait lui-même, pour ensuite réaliser des photo-montages et créer de toutes parts des corps surréalistes. Des arabesques de jambes et de cuisses démultipliées, objets de ses propres fantasmes, forment alors des compositions à la beauté troublante. 

Frédéric Fontenoy, lui, explore une tension très dadaïste avec ses mises en scène à l’érotisme inquiétant. A la croisée du surréalisme et du roman noir, il fait écho aux regards de Man Ray, de Bill Brandt pour ses nus… et aussi de Weegee pour ses scènes de crime! 

Longtemps attribuée aux seuls hommes, l’érotisme dans la photographie appartient maintenant à tous les genres et tous les sexes. Il y a des érotismes photographiques, et chacun fait référence à des codes différents. Car on y utilise des codes et des conventions ; celles de la dentelle, de l’univers feutré bourgeois, évoquent souvent les maisons closes « fin de siècle » et leur permissivité cadrée. Pour d’autres ce seront les conventions de la soumission, du cuir, du corps dominé. Pour d’autres encore celles du voile, de l’éthéré, du corps sublimé. 

Les artistes ont réussi à transcender à l’infini cette pulsion vitale du désir en jeu de formes, de mise en scène, de composition… de « mise à distance » photographique : il faut de l’interdit pour qu’il y ait cette tension du regard particulière : « on ne touche qu’avec les yeux! » (…et heureusement car l’époque ne saurait plus tolérer de violence faite à l’autre sous prétexte créatif.)

E.B.

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