A l’origine du film "African Photo : Mama Casset"

Fototrace est l'association photographique à l'origine du film African Photo : Mama Casset. Elle regroupe sa réalisatrice, Elisa Mereghetti ainsi que Maddalena Cerletti, Melissa Nicolini et Giovanna Burinato. Elles ont souhaité répondre ensemble à nos questions...

 

Emmanuel Bacquet : Comment avez-vous découvert l'œuvre de Mama Casset ?

Fototracce : Nous avons connu l’œuvre de Mama Casset grâce aux filles du photographe, dont deux d’entre elles vivent actuellement en Italie. Elles se sont adressées à Fototracce, association spécialisée dans l’étude et la valorisation des archives photographiques, pour promouvoir le travail de leur père. Nous nous sommes donc rapprochées des photographies de Mama Casset à travers les témoignages de la famille qui nous a montré ce qui reste de ses archives, qui ont malheureusement été détruites pendant un incendie au début des années 80. 

S’en est suivi le désir de connaître à fond la photographie sénégalaise et de reconstruire les vicissitudes biographiques et professionnelles de Mama Casset, ainsi que le contexte social, historique et politique qui ont rendu possible le développement et le succès de la photographie de portrait en studio au Sénégal.

 

EB : Bien souvent les films sur les artistes africains réalisés depuis l’Europe convoquent des « spécialistes » européens et blancs pour analyser l'œuvre. Ici vous avez interrogé des historiens, des stylistes et des artistes sénégalais, qui livrent une analyse très fine du travail et de ses implications. C’était un choix délibéré ? 

Fototracce : Oui, c’était un choix délibéré. Tout de suite nous avons ressenti la nécessité d’aller dans le lieu où les photographies avaient été prises et de rencontrer et interroger ceux qui avaient connu le photographe : membres de la famille, amis, collaborateurs, et ceux qui, même sans le connaître personnellement, en partageaient les origines et avaient étudié, apprécié son œuvre en la mettant en relation avec l’histoire de la mode et de la société sénégalaise. 

Pour nous c’était fondamental de chercher une relecture de l’œuvre de Mama Casset de l’intérieur, avec un regard « sénégalais ».

Mais ce que nous a donné la perception de la grandeur du photographe c’était de voir ses photos dans toutes les maisons de Dakar, encadrées ou jalousement gardées dans des albums de famille. Transmises de génération en génération, de même que les récits et les histoires, les images de Mama Casset constituent la mémoire des familles et de la société entière.

Dans le documentaire, ce sont donc les témoignages des gens interviewés qui accompagnent le spectateur dans un voyage à travers le Sénégal d’ailleurs et d’aujourd’hui entre photographie, culture et société.

Dans l’atelier du photographe, on assiste au jeu de sa propre représentation. Une fois la porte fermée, loin des regards étrangers, le photographe instaure avec son client un dialogue qui a comme but la production d’une image capable d’en interpréter l’identité, entre aspirations individuelles et imaginaire collectif.

EB : Comment placeriez-vous le travail de Mama Casset en regard des « studiotistes » maliens, tels que Malik Sidibé, Seydou Keita ? Y a-t-il une pratique différente de la photographie au Sénégal ?

Fototracce : Mama Casset appartient avec d’autres photographes tels que Seydou Keita au Mali, Cornélius Augustt Azaglo en Côte d’Ivoire et Joseph Moïse Agbodjelou au Benin, à la génération des photographes de l’Afrique Occidentale qui donnent naissance à la grande époque de la photographie de portrait en studio. 

Après avoir appris la technique chez les photographes européens qui travaillaient dans leur pays ou en travaillant eux-mêmes dans l’armée coloniale, ils ouvrent dans les années 50 leurs propres studios dans les villes les plus importantes de leur pays.

A cette époque, la photographie s’affirme dans le genre du portrait en studio en répondant aux besoins de la bourgeoisie naissante à la recherche d’une identité, pour devenir ensuite une pratique très populaire et connue.

Dans l’atelier du photographe, on assiste au jeu de sa propre représentation. Dans ce lieu de réalisation des désirs, s’avère une véritable mise en scène : grâce à la pose, les vêtements et l’emploi d’accessoires, comme cravates, horloges, radios et sacs à main, on peut posséder ce qu’on n’a pas et se montrer comme on voudrait être. Une fois la porte fermée, loin des regards étrangers, le photographe instaure avec son client un dialogue qui a comme but la production d’une image capable d’en interpréter l’identité, entre aspirations individuelles et imaginaire collectif.

On peut dire que la pratique est la même mais chaque « studiotiste » interprète avec son style et sa poétique le genre du portrait en studio en traduisant les données de la mode et du goût de son peuple, ainsi que l’influence d’une modernité qui petit à petit devient partie de la vie quotidienne.

Malik Sidibé est plus jeune et sa production artistique diffère un peu des premiers « studiotistes » : en marchant sur les traces de ces maîtres il sait montrer aussi la vie au-delà des murs de son atelier et cela a peut-être contribué à sa renommée internationale.

 

EB : Y a-t-il eu d’autres grands studios sénégalais à la même époque ?

Fototracce : D’après nos recherches et ce qu’on a vu, le studio African Photo de Mama Casset, ouvert en 1943 dans la Médina de Dakar, était le studio le plus important du pays et Mama Casset est, même aujourd’hui, connu comme le premier photographe du Sénégal. 

Peu importe qu’il soit vraiment le premier. Ce qui est certain, c’est que Mama Casset est considéré, dans la mémoire collective, comme celui qui a donné à son peuple une image capable de le représenter, en faisant de la photographie un art africain. Ses photographies ne sont pas seulement des portraits en studio, elles nous racontent l’histoire du Sénégal, elles nous parlent de la culture et de la société des années 50 à 70, années caractérisées par une grande agitation politique et culturelle, entre nécessité de délivrance et recherche d’une nouvelle identité.

Par son activité, Mama Casset marque le début d’une longue tradition familiale, en transmettant son art à son frère, Salla Casset et à ses nombreux neveux, tels que Abdoulaye et Mama, fils de Salla Casset, qui ont poursuivi l’activité.

 

EB : Avez-vous en projet de faire d’autres films sur des photographes africains ?

Fototracce : Pour le moment nous n’avons pas d’autres projets de documentaire en cours, mais qui sait… nous souhaitons avoir l’occasion de poursuivre nos recherches sur la photographie de portrait en studio et d’entamer un nouveau voyage à la découverte des photographes peu connus, pas seulement africains.

 

Propos recueillis en juin 2021

Photo de couverture : photogramme tirée du film "African Photo : Mama Casset" ©Mama Casset

Le film lié à cet article

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African photo : Mama Casset

Mama Casset, artisan de la mémoire photographique africaine.