Vassili Feodoroff : La fabrique de l’image de presse au Monde

Le photographe et réalisateur français Vassili Feodoroff (né en 1991) situe sa pratique entre le documentaire et le journalisme. Son dernier film 28,54 Go est une immersion contemplative au sein du service photo du journal Le Monde, premier quotidien national français. Au rythme des élections présidentielles de 2022, qui ont signé la mort des partis traditionnels français, il nous fait découvrir un métier méconnu du monde de limage de presse : celui diconographe. Dans cet entretien, il évoque pour nous la genèse de ce projet, ses choix esthétiques et les ingrédients pour une bonne photo d'actualité.

Comment est né ce projet de documentaire sur le service photo du Monde ?

Ce projet m’est venu en travaillant moi-même au service photo du Monde en tant qu’iconographe remplaçant. J’ai toujours été fasciné par la fabrication des médias et en m’essayant à l’écriture documentaire, j’ai voulu raconter le travail de ce service photo et l’abnégation de celles et ceux qui travaillent en amont et en aval de la prise de vue. Quand une photo est publiée on sait, par la légende, qui a pu la prendre, mais on n’imagine pas que c'est le résultat d’un travail collectif et d’un processus précis, inhérent à la fabrication de l’information. 

La réalisation du film est venue un peu de façon impulsive. J’avais envie de vivre les élections présidentielles de l’intérieur et c’est ce film qui m’a permis de le faire. J’ai contacté le chef.fes de la photo en leur envoyant quelques semaines avant une ébauche de synopsis et ils m’ont tout de suite validé l’idée. Tout s’est fait assez vite. 

28-54 Go - Un film de Vassili Feodoroff - 06.jpg

Choix des photos pour les présidentielles de 2022

 

Pourquoi avoir pris la période des élections présidentielles comme cadre temporel ? 

Ce qui m’intéressait avec les élections présidentielles c’était d’avoir des bornes temporelles assez évidentes. Le début et la fin étaient là, il me restait à construire mon récit entre les deux. Cette contrainte m’intéressait particulièrement. Aussi c’est le genre d’évènements médiatiques qui marquent la vie d’une rédaction. Ça me permettais de raconter en condensé la fabrication du journal tout en pouvant déployer le récit à travers différents personnages. Les deux tours me permettaient de raconter dans un premier temps les publication numérique puis l’impression papier avec le second tour. Et la politique à un rapport particulier à l’image, je trouvais interessant de raconter comment le Monde cherchait à définir une récit photographique et journalistique face aux candidat.e.s qui veulent imposer le leur.

 

Tu as toi-même travaillé pour le Monde en tant que photographe pendant les élections. Est-ce cette immersion en parallèle du côté des iconographes a modifié ta manière daborder un sujet dactualité ? 

Pendant les élections je photographiais une série sur différentes forêt en Europe, ça n’était pas vraiment des reportages d’actualité donc je ne pense pas avoir été influencé par les élections sur ma photo. Mais c’était en revanche très stimulant de me retrouver d’un côté puis de l’autre de la rédaction. Et faire cette série en même temps que le film m’a aussi permis de prendre un recul nécessaire et de savoir exactement ce dont j’avais besoin et de ne pas me perdre dans tout ce que la campagne présidentielle offrait en terme d’images. 

La photojournaliste Agnès Dherbeys pour Le Monde

La photojournaliste Agnès Dherbeys pour Le Monde

 

Après ce temps passé auprès de ceux qui les choisissent, quest-ce qui selon toi fait une bonne image dactualité ? 

En commençant à travailler au Monde, Mathieu Polak, un des iconographes (aujourd’hui à la retraite) m’avait dit que pour lui une bonne photo était une photo qui avant tout pouvait informer. Ensuite si son esthétique pouvait aider à l’information et sa transmission c’était encore mieux. Le fait d’avoir fait ce film m’a confirmé dans ce rapport à la photo et à l’actualité. Parfois une bonne photo n’est pas forcément la plus belle. Mais quand l'information est là et que c’est « beau » à voir, c’est parfait !

 Pourquoi ce choix de ne pas mettre de voix-off ? 

En faisant ce film je voulais m’essayer à un style documentaire à la manière du cinéma direct. J’ai filmé seul avec un dispositif léger. Je voulais que toute la narration du film se fasse à l’image et ainsi trouver le sens de mon film dans chaque plan. Je l’ai abordé comme une sorte d’exercice et cette contrainte m’a forcée à anticiper chaque séquence en sachant précisément ce que je cherchais. Le fait de ne pas utiliser de voix-off permet une immersion plus directe entre le film et les personnes qui le regardent. J’assume mon point de vue, et c’est la caméra et le son qui racontent tout. En tournant le film j’avais en tête des films de Frederick Wiseman, un documentariste américain qui filme des longues plongées dans des institutions américaines, toujours sans voix-off, ni interviews.

Choix de la couverture pour l'élection du président

Choix de la couverture pour l'élection du président

 

Le film est rythmé par cette alternance de temps calmes ou en tout cas de concentration du service photo et les scènes de liesse des meetings politiques. Comment as-tu envisagé le montage ?

Le montage du film s’est fait dans ma tête quasiment en même temps que le tournage. J’allais d’une séquence à l’autre en sachant exactement ce que je voulais. Au montage, j’ai juste alterné les plans entre la rédaction et les photographes sur le terrain pour donner du rythme au film, mais aussi pour montrer qu’elle était la matière produite avec laquelle le service photo allait ensuite travailler. En faisant ces aller-retours entre le terrain et la rédaction je voulais aussi montrer comment face à l’actualité, la fabrication de l’information se faisait avec une fluidité qui m’a toujours étonnée. 

 

Questions envoyées par courriel
en mars 2024
par Zoé Isle de Beauchaine

Le film lié à cet article